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avec revues de presse

Bulletin N° 460 | Juillet 2023

 

 

TURQUIE : ERDOGAN DIT « OUI » À LA SUÈDE ET TENTE DE SE RÉCONCILIER AVEC LES OCCIDENTAUX

Après avoir pendant plus d’un an soufflé le froid et le chaud, menacé d’opposer son veto à l’adhésion de la Suède à l’OTAN et tenté de marchander au mieux de ses intérêts la levée de ce veto, le président turc a finalement donné le 10 juillet son accord à l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Cette décision est intervenue après une longue conversation téléphonique avec le président Biden à la veille du sommet de l’OTAN à Vilnius. Elle a été annoncée par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et saluée par les dirigeants occidentaux comme une bonne nouvelle, voire « une étape historique qui bénéficie à la sécurité de tous les alliés de l’LOTAN » (Jens Stoltenberg). Le Premier ministre suédois qui a été à plusieurs reprises admonesté et humilié par le président turc a parlé avec soulagement d’un « bon jour » pour son pays.

La ratification par le Parlement turc devrait avoir lieu « dès que possible mais pas avant le mois d’octobre » selon Erdogan. De son côté, son homologue et comparse Victor Orban a déclaré que la Hongrie pourrait ratifier le traité d’adhésion « rapidement » (voir Le Monde du 11 juillet). Le président Biden, qui a joué un rôle décisif dans le dénouement de cette crise, s’est dit « impatient » d’accueillir la Suède comme 32ème Etat membre de l’OTAN et « prêt à travailler avec le président Erdogan au renforcement de la défense et de la dissuasion dans la zone euro-atlantique ». Il a reçu son homologue turc en marge du sommet de Vilnius. Une rencontre d’environ une heure qualifiée « d’historique » que le président turc considère comme « une première étape pour une relation plus forte » ‘(New York Times du 11 juillet). Il faut dire que le président Biden n’a jamais reçu Erdogan à la Maison Blanche et qu’il a même choisi de ne pas l’inviter au sommet des démocraties que Washington organise chaque année. La rencontre de Vilnius est donc le premier dialogue direct substantiel entre les deux dirigeants. Hormis la promesse de soutenir devant le Congrès les demandes turques d’acquisition des avions de chasse F16, le président Biden ne semble pas avoir accédé aux autres demandes récurrentes comme l’expulsion vers la Turquie du prédicateur turc Fethullah Gulen, la fin du soutien américain aux Kurdes syriens ou le règlement à l’amiable de l’imbroglio politico-financier de la banque d’Etat turque Halk Bank pour transactions financières avec l’Iran en violation des sanctions américaines. Un réchauffement des relations turco-américaines reste peu probable tant que Biden est au pouvoir. Mais Erdogan estime qu’un début de dialogue et quelques gestes pourraient contribuer à améliore r l’image largement négative de son pays auprès de l’opinion publique et surtout auprès des investisseurs dont l’économie turque en crise a un besoin urgent. 

C’est cette urgence aussi qui a conduit le président turc à mettre en sourdine ses diatribes anti-européennes et anti-américaines des périodes électorales et à chercher à renouer avec l’Europe. Il s’est même laissé aller à réclamer la reprise des négociations d’adhésion à l’Union européenne à l’arrêt depuis plusieurs années. La Suède s’est engagée à soutenir la demande turque tout comme la Hongrie ; le président du Conseil européen Charles Michel et le chancelier allemand Olat Schute se sont contenté de quelques déclarations vagues. Mais le Parlement européen, dans un rapport adopté le 18 juillet par 47 voix pour, aucune voix contre et 10 abstentions par sa Commission des Affaires étrangères affirme clairement : « A moins qu’il n’y ait un changement de cap radical de la part du gouvernement turc, le processus d’adhésion à l’UE de la Turquie ne peut pas reprendre dans les circonstances actuelles ». Les euro-députés soulignent que la Turquie ne respecte pas les valeurs démocratiques, l’État de droit et les droits humains (voir p.42).

Si les investisseurs occidentaux ont besoin d’un robuste État de droit ou, à défaut d’un cadre juridique stable, pour prendre les risques d’investir. Il n’en va pas de même des pétro-monarchies du Golfe que le président turc dans une volte face à 180 degrés dont il est coutumier, s’emploie activement à courtiser. Tournant la page des conflits et diatribes enflammées du passé, il s’est rendu en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis, ses adversaires d’hier, ainsi que chez son ami et allié l’émir du Qatar pour solliciter une aide financière massive et urgente afin de renflouer l’économie turque. Des contrats importants sur des milliards de dollars ont été annoncés pour donner confiance aux marchés sans cependant un calendrier précis ni le contenu exact de ces contrats.

Ces annonces d’ouverture tous azimuts n’ont pas encore eu les effets escomptés. L’inflation officiellement réduite à 44,5%, en réalité de plus de 108% selon une organisation turque indépendante, fait des ravages et précarise les classes moyennes. Le prix de l’immobilier a augmenté de 152% depuis le début de l’année, celui de l’essence a doublé. Les violences parfois meurtrières entre les propriétaires obligés d’augmenter substantiellement leurs loyers pour tenir compte de l’inflation et les locataires dans l’impossibilité de les payer fraient la chronique judiciaire quotidien. Les étudiants protestent dans les rues, sur les media sociaux contre le coût inabordable des logements d’étudiants. La livre turque, lira, se dévalorise semaine après semaine au point où un dollar vaut maintenant 27 liras et l‘euro environ 30 liras, contre 1 euro pour 2 liras il y a à peine 10 ans. Les taux d’intérêt grimpent à 17,5% rendant les emprunts inabordables.

 

Dans ce contexte social très tendu le pouvoir continue de jouer à fond le thème de la patrie en danger défendue par les opérations incessantes de la vaillante armée turque contre « les terroristes du PKK/PYD en Syrie et en Irak du Nord » et de présenter les soldats morts dans ces guerres d’agression comme des « martyrs » dont les funérailles en grandes pompes saturent les écrans des télévisions turques. Les partis d’opposition n’osent critiquer ce lavage de cerveaux par nationalisme atavique ou de crainte d’être traités à leur tour de terroristes par la puissante machine de propagande gouvernementale. La plupart d’entre eux, notamment le Parti républicain du peuple (CHP) et son ex-allié le Bon parti sont, après leur défaite aux élections, en proie aux querelles et règlements de compte internes.

Seule lueur d’espoir à court terme : le tourisme ! La dévaluation de la livre turque rend accessibles les sites touristiques turcs notamment pour les touristes russes, d’Europe orientale, d’Iran et du Proche-Orient. La Turquie espère accueillir 50 millions de touristes en 2023 et encaisser plus de 30 milliards de dollars de recettes touristiques. Des recettes bienvenues car les caisses de la Banque centrale sont presque vides et Poutine, lui-même en posture difficile, ne va pas tarder à réclamer le règlement de la lourde ardoise des importations de gaz, ardoise ajournée afin de faciliter l’élection de son ami Erdogan.

 

IRAK : LA RÉGION DU KURDISTAN COMPTE 7,4 MILLIONS D’HABITANTS

Le Bureau des statistiques du Gouvernement régional du Kurdistan a publié le 10 juillet un communiqué indiquant que la Région du Kurdistan compte actuellement 7,426,000 habitants. Selon le directeur de ce Bureau, Shiwan Mihemed, cité par Rûdaw (10/07/2023) ce nombre comprend les 660.000 déplacés internes, en grande majorité arabe, venant d’autres provinces de l’Irak et 266.000 réfugiés pour l’essentiel des Kurdes syriens ainsi que des Kurdes iraniens.

Toujours selon la même source, la population kurde de la Région du Kurdistan devrait atteindre les 6,55 millions d’ici à la fin de l’année ; Il existe aussi d’importantes communautés kurdes dans les territoires dits « disputés » sous administration irakienne, notamment dans la province à majorité kurde de Kirkouk, dans celle de Mossoul ainsi que dans les districts de Sinjar et de Khanaqin. Faute de recensement fiable, pourtant prescrit par l’article 140 de la constitution irakienne, et faute de statistiques précises, la population de ces communautés vivant hors la Région autonome du Kurdistan est évaluée à 3 à 3,5 millions de personnes. Il y aurait ainsi en Irak de 9,5 millions à 10 millions de Kurdes sur une population totale estimée officiellement à 43 millions, soit environ 22 à 23 % des habitants de la République irakienne qui depuis la chute de la dictature de Saddam Hussein et l’amélioration du niveau de vie connait un boom démographique.

L’actualité politique du mois de juillet a été dominée par les controverses sur le budget adopté en juin par le Parlement irakien. Arguant que 12 articles de cette loi budgétaire sont contraires à la Constitution, le Premier ministre irakien Mohammed Shia al-Sudani a déposé le 3 juillet un recours devant la Cour fédérale supérieure. De son côté, le Gouvernement régional du Kurdistan a également présenté le 12 juillet un recours devant, la même Cour affirmant que les articles 2, 11, 12 et 13 de la nouvelle loi budgétaire irakienne violent les articles 110, 111, 112, 114 et 115 de la Constitution. L’article 115 énonce les pouvoirs partagés entre le GRK et le gouvernement irakien et dans sa plainte, le GRK estime que l’exigence du projet de loi budgétaire selon laquelle le Gouvernement du Kurdistan doit fournir 400.000 barils de pétrole par jour au gouvernement fédéral en échange de sa part du budget national est contraire à la Constitution. La Cour fédérale suprême, fortement politisée et à dominante chiite, est appelée à statuer sur ces contentieux dans un délai de quelques semaines.

La question de l’exportation du pétrole du Kurdistan interrompue depuis mars 2023 par la Turquie n’est toujours pas réglée. Le 12 juillet, le président turc a déclaré « Nous n’avons aucun problème à recevoir du pétrole irakien, le problème actuel est le conflit à l’intérieur de l’Irak entre le gouvernement central et le gouvernement du nord de l’Irak. Une fois ces problèmes réglés, nous sommes favorables à l’ouverture d’oléoducs ». Les autorités irakiennes par la voix de leur ministre du pétrole ont rejeté la présentation turque du contentieux. Selon le ministre « il n’y a pas de problème politique entre le GRK et le gouvernement irakien. La Turquie ne veut pas reprendre les exportations tant que l’Irak ne renonce pas à l’indemnité que la Cour internationale de commerce lui a accordée ». Bagdad et Ankara se renvoient donc la balle sur le dos des Kurdes. L’exportation du pétrole kurde par des voies alternatives vers les terminaux de Bassorah ou vers la Jordanie reste improbable faute d’oléoducs adéquats.

Par ailleurs, la date de la tenue de futures élections parlementaires du Kurdistan, fixées au 18 novembre 2023, continue de faire débat. La Haute commission électorale irakienne chargée de l’organisation du scrutin arguant qu’elle est déjà très occupée par l’organisation des élections provinciales irakiennes de décembre 2023 propose de repousser les élections du Kurdistan au février 2024. Les consultations entre les principaux partis kurdes ont repris. Les Américains, principaux alliés militaires des Kurdes, ont menacé de cesser de soutenir les Peshmergas si le PDK et l’UPK ne réglaient pas rapidement leurs divisions internes. Face à cette menace et à la pression de l’opinion publique kurde les deux partis ont le 30 juillet conclu un accord en 5 points. Selon cet accord leurs divergences politiques ne devraient pas entraver leur coopération au sein du Gouvernement du Kurdistan pour assurer les services essentiels pour la population. Une délégation américaine a rencontré le ministre des Peshmergas pour discuter de la mise en œuvre rapide des réformes convenues en septembre 2022.

A signaler aussi la visite du ministre français de la défense, Sébastien Lecornu, d’abord à Bagdad où il a été reçu le 18 juillet par son homologue irakien et le Premier ministre irakien, puis à Erbil où il a été longuement reçu par le président du Kurdistan, Nechirvan Barzani pour discuter des projets de formation des peshmergas et des enjeux de la guerre contre Daech (voir p. 78).

A noter aussi que le patriarche de l’Église catholique chaldéenne d’Irak, le cardinal Louis Raphaël Sako s’estimant « harcelé » à Bagdad a décidé de s’installer à Erbil, au Kurdistan (voir p. 78-79).

 

IRAN : 354 EXÉCUTIONS EN 6 MOIS ET LE RETOUR DE LA POLICE DES MŒURS

La machine à tuer iranienne tourne à plein régime. D’après un décompte réalisé par l’ONG Iran Human Rights (IRH), basée en Norvège, au moins 354 personnes ont été pendues en Iran au cours du premier semestre 2023, un score en hausse de 36% par rapport à 2022. Dans son communiqué du 3 juillet, l’IHR cité par l’AFO (voir p. 70) affirme que les autorités iraniennes utilisent la peine capitale « comme moyen d’écraser la contestation débutée en septembre après la mort d’une jeune Kurde iranienne (Jina Mahsa Amini) arrêtée par la police des mœurs et décédée en garde à vue ».

En 2022, au total 582 personnes avaient été exécutées, un chiffre en hausse de 75% par rapport à 2021 selon l’IHR. Cette hausse infernale des meurtres d’État est cependant jugée insuffisante par les dignitaires religieux chiites qui selon une enquête du quotidien catholique La Croix du 2 juillet « appellent à accélérer la cadence des exécutions effectuées au nom de l’Islam ». Dans ce contexte de surenchères les quelques voix des religieux plus modérés contestant « l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques » restent inaudibles.

Face à la terrible crise économique que traverse le pays et qui pousse de nombreux Iraniens désespérés vers l’exil (voir New York Times pp. 56-57) parce que même les ménages des classes moyennes ne peuvent plus payer leur loyer (voir Le Monde du 24 juillet, p. 51) le régime clérical choisit le retour aux fondamentaux de la République islamique en réprimant avec la plus grande brutalité toute contestation, toute voix critique.

Ainsi, la police des mœurs dont le procureur général iranien avait le 4 décembre 2022 déclaré « la dissolution » est de nouveau réactivée. Dans un rapport rendu public le 28 juillet Amnesty International indique que « les autorités iraniennes intensifient considérablement la répression des femmes et des filles iraniennes qui défient la législation dégradante qui impose le port du voile ». Selon Amnesty, qui cite des chiffres attribués au porte-parole de la police iranienne, entre le 15 avril et le 14 juin « près d’un million de SMS contenant des messages d’avertissement adressés à des femmes photographiées sans voile dans leur voiture ont été envoyés. 133.174 SMS ordonnant l’immobilisation (temporaire) du véhicule alors que 2.000 voitures ont été « confisquées » et « 4.000 récidivistes ont été déférées à la justice ». Selon l’ONG des centaines de commerces ont été fermés pour n’avoir pas appliqué les lois sur le port obligatoire du voile et des femmes se sont vu refuser l’accès au système éducatif, aux systèmes bancaires et aux transports publics (voir aussi Le Monde du 16, le NYT du 27 juillet).

Cette surveillance de masse est devenue possible grâce aux outils de surveillance sophistiqués, notamment des caméras de reconnaissance faciale, fournis par la Chine, devenue « alliée stratégique de l’Iran ». La coopération sécuritaire et les échanges économiques irano-chinois vont être complétés par un volet culturel aussi.

Ainsi, le guide suprême iranien Ali Khamenei a approuvé l'ajout du chinois à la liste des langues proposées dans les écoles iraniennes. Le président iranien Ebrahim Raisi a approuvé ce changement qui reflète les liens croissants entre l'Iran et la Chine. En 2016, Khamenei avait critiqué la promotion de la langue anglaise en Iran. Par ailleurs, un député iranien a déclaré que le taux d'inflation annuel du pays était beaucoup plus élevé que les chiffres officiels du gouvernement et s'élève actuellement à 120 %.

La répression ordinaire suit son cours notamment au Kurdistan.

L'Organisation Hengaw pour les droits de l'homme a rapporté que les forces de sécurité iraniennes avaient arrêté 168 Iraniens, dont 77 Kurdes et 50 Baloutches, en juin. Les autorités iraniennes ont arrêté neuf autres Kurdes à Saqqez, dont une femme nommée Shahla Chopani, début juillet, Dans le même temps, le tribunal révolutionnaire islamique d'Ilam a condamné un Kurde à neuf ans de prison pour "manque de respect au dirigeant de la République islamique" et participation à des manifestations anti-gouvernementales. Un autre manifestant kurde du nom de Mehdi Sadiqi a mis fin à ses jours deux semaines après avoir passé six mois dans les prisons iraniennes. Plusieurs organisations de défense des droits humains ont affirmé que Sadiqi avait été torturé pendant son emprisonnement. Enfin, les forces iraniennes ont continué d'attaquer plusieurs villages le long de la frontière irano-turque près d'Ourmia avec des tirs indirects et ont saisi au moins 700 têtes de bétail appartenant à des Kurdes locaux.

Le guide suprême iranien Ali Khamenei a approuvé l'ajout du chinois à la liste des langues proposées dans les écoles iraniennes. Le président iranien Ebrahim Raisi a approuvé dimanche le changement qui reflète les liens croissants entre l'Iran et la Chine. En 2016, Khamenei a critiqué la promotion de la langue anglaise en Iran. Par ailleurs, un député iranien a déclaré que le taux d'inflation annuel du pays était beaucoup plus élevé que les chiffres officiels du gouvernement et s'élève actuellement à 120 %.

Mi-juillet, les autorités iraniennes ont arrêté des dizaines d'autres Kurdes dont dix à Shino, cinq à Piranshahr, quatre à Naghadeh, une journaliste kurde à Téhéran, un athlète à Saqqez et un civil à Urmia. La plupart des détenus sont accusés d'avoir protesté contre la mort de Jina Mahsa Amini. Parallèlement, une manifestante, Halima Hasannajad, est décédée après avoir été dans le coma pendant neuf mois après avoir été heurtée par un véhicule militaire à Saqqez. En outre, les autorités iraniennes ont dit aux familles de deux Kurdes emprisonnés de récupérer leurs restes à Mahabad et Piranshahr. Selon l'Organisation Hengaw pour les droits de l'homme, 20 détenus, dont 13 Kurdes, sont morts dans les prisons iraniennes en 2023. Parallèlement, les tribunaux iraniens ont condamné un adolescent à Mahabad à deux ans de prison pour "rassemblement et complot en vue de commettre des crimes contre la sécurité intérieure du pays » et un militant de Senna, Hashem Saadi, à six mois et 15 jours de prison et 40 coups de fouet.

 Hengaw signale aussi que le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) s'est affronté avec des militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) le long de la frontière irano-turque près de Khoy et que l'armée iranienne a soumis les zones entourant Khoy à d'intenses bombardements d'artillerie.

Un membre du Parti démocratique du Kurdistan iranien (PDKI), Siamand Shaboie, a été assassiné au nord d'Erbil. Shaboie était de Shino. Il avait rejoint le Parti à l'adolescence. Plusieurs partis kurdes ont accusé l'Iran d'avoir perpétré l'assassinat, mais personne n'a encore officiellement revendiqué la responsabilité. Par ailleurs, les forces de sécurité iraniennes ont tué un Kurde de Halabja au Kurdistan irakien qui aidait à éteindre un incendie de forêt près du Mont Bamo. Cela a coïncidé avec l'arrestation par les autorités iraniennes de dizaines de civils et d'anciens manifestants à Senna, Saqqez, Piranshahr, Bokan, Mahabad, et Marivan. Parallèlement, le régime a convoqué 54 avocats pour avoir exprimé leur soutien à la famille de Jina Amini et publié des images, des documents et des films. Enfin, le régime a exécuté cinq Kurdes à Naghadeh, Urmia et au Lorestan.

Les forces du régime iranien ont arrêté des dizaines de manifestants dans le village d'Aqdara, dans la province de l'Azerbaïdjan occidental, et en ont gravement blessé trois. Le raid sur Aqdara a commencé lorsque plusieurs Kurdes se sont rassemblés devant une mine d'or et ont exigé un emploi. Les forces de sécurité iraniennes et les responsables municipaux d'Ilam ont détruit une maison kurde, dispersé une petite manifestation, blessé trois Kurdes et arrêté six autres. Le régime a également arrêté un certain nombre de militants dans tout le Kurdistan iranien, dont Mohammed Haseli à Sarabbagh, Assad Mohammadi, Massoud et Ibrahim Mirzaie, et Hozan Baba Karimi à Senna, Omed Mazloum à Mahabad, Murad Tajgarodun à Naghadeh, Yassir Noori à Juwanro, Hussein Chokali à Urmia et Haider Qubati à Kermanchah. Enfin, les tribunaux révolutionnaires islamiques ont condamné Burhan Saedi à deux ans de prison pour « formation de groupes contre la sécurité nationale » à Senna, Bayan Salehian à huit mois de prison à Saqqez et Waran Mohammadnejad à un an de prison.

 

ROJAVA : REGAIN D’ACTVITÉS DE DAECH

Le Commandement central américain (CENTCOM) a annoncé début juillet que les forces américaines, ainsi que la coalition et d'autres partenaires, avaient mené 37 opérations anti-Daech en Irak et en Syrie en juin, qui ont entraîné la mort de 13 membres de Daech et la capture de 21 autres. Le CENTCOM a annoncé qu'une frappe de drones américains avait tué le chef de Daech Oussama al-Muhajir dans l'est de la Syrie le 7 juillet.  De leur côté, les Forces démocratiques syriennes (SDF) ont arrêté deux terroristes de Daech le 8 juillet et capturé un émir de Daech à Deir Ez Zor le 9 juillet. Pendant ce temps, certains prisonniers de Daech ont été rapatriés dans leur pays d'origine depuis le camp d'al Hol, dont dix femmes et 25 enfants de France (voir AFP p. 69), deux femmes et trois enfants du Canada et 168 familles irakiennes.

Les SU-35 russes ont forcé trois drones américains MQ-9 Reaper, effectuant une mission contre des cibles de Daech au-dessus du nord-ouest de la Syrie occupée par la Turquie, à effectuer des manœuvres d'évitement les 5 et 6 juillet. L’attaché de presse du Pentagone, Brigadier général Pat Ryder, a répondu en appelant les forces russes à « cesser leur comportement imprudent et non professionnel ». L'armée russe a ensuite accusé les États-Unis d'avoir violé l'espace aérien syrien à 12 reprises et affirmé que l'espace aérien syrien était interdit en raison d'exercices d'entraînement russes avec le régime d'Assad. Environ 900 militaires américains restent en Syrie pour aider les FDS à combattre Daech.

Le 28 juillet, des unités spéciales de sécurité affiliées aux Forces démocratiques syriennes (SDF) ont arrêté cinq terroristes de Daech dans le camp d'al Hol. Une opération conjointe de la coalition dirigée par les FDS et les États-Unis a capturé un autre agent de Daech à l'extérieur de Deir Ez Zor le 30 juillet.  De son côté, Daech a lancé deux attaques contre les FDS et les forces d'Assad qui ont fait 11 victimes. Pendant ce temps, le 27 juillet, une mine terrestre abandonnée a blessé quatre enfants qui ramassaient de la ferraille près de Deir Ez Zor.

Le 25 juillet, les forces turques ont bombardé le village de Qabur Qaranja contrôlé par les FDS près de Tel Tamer. Le lendemain, la Turquie a bombardé les villages d'al Darara et de Tal Qara. Le 28 juillet, une frappe de drones turcs sur un camp d'entraînement des FDS près de Khirbet Khoy a fait quatre morts et huit blessés. Le 30 juillet, la Turquie et ses mercenaires ont blessé trois civils en bombardant Tal Laban et Tal Tamer. Le lundi 31 juillet, un bombardement turc a blessé une femme et son enfant à Afrin, et l'artillerie turque a tué deux membres des FDS à l'est d'Ain Issa. L'AANES a condamné le silence de la coalition dirigée par les États-Unis sur l'agression en cours de la Turquie et a averti qu'il pourrait affaiblir la volonté des FDS et d'autres alliés de participer à de futures opérations conjointes.

Parallèlement à sa guerre à bas bruit contre les FDS, la Turquie continue de se servir de l’arme terrible de l’eau.

Le 3 juillet, la Direction de l'eau de l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES) a déclaré Hassakah, Tel Tamer et les camps de Washokani et Serêkani «zones sinistrées» en raison des pénuries d'eau causées par la Turquie. La Turquie contrôle le débit du Tigre et de l’Euphrate et a coupé l'approvisionnement en eau des territoires contrôlés par l'AANES plus de quarante fois depuis 2019, ce qui a touché plus d'un million de citoyens syriens. Pendant ce temps, un membre d'une milice pro-turque a agressé sexuellement un enfant à Afrin. Le lendemain, les mercenaires turcs de Djaich al-Watan ont saisi 112 animaux sacrificiels donnés aux réfugiés dans le nord de Hassakah pour l'Aïd al-Adha et les ont emmenés à leur siège. Ces mercenaires turcs ont également imposé une taxe aux Kurdes à Afrin, exigeant 100 dollars de chaque citoyen et 1 000 dollars de chaque commerçant.

Sur le plan diplomatique, le 16 juillet, le Premier ministre irakien Mohammad Shia al Sudani a rencontré le président syrien Bashar al Assad à Damas. Alors que l'Irak a maintenu des liens avec la Syrie tout au long de la guerre civile syrienne, les relations entre les deux pays se sont encore améliorées lors de la normalisation du régime d'Assad par la Ligue arabe. Sudani et Assad ont discuté d'une série de questions, notamment le trafic de drogue transfrontalier, le retour des réfugiés syriens d'Irak, la levée des sanctions occidentales contre la Syrie, les attaques israéliennes sur le sol syrien et les pénuries d'eau causées par le contrôle de l'Euphrate par la Turquie. Le président Erdogan a également exprimé sa volonté de rencontrer Assad et de normaliser les relations, mais la Turquie refuse d'accepter les demandes de la Syrie de retirer au préalable les forces turques du nord de la Syrie.

Le 13 juillet, le régime d'Assad a déclaré qu'il autoriserait les Nations Unies (ONU) à continuer d'utiliser le poste frontière de Bab al-Hawa pour acheminer de l'aide humanitaire dans les régions dévastées par le tremblement de terre du nord-ouest de la Syrie pendant six mois. Cela dit, le régime a interdit à l'ONU de communiquer avec toute entité désignée par le gouvernement syrien comme «terroriste» et a exigé que toute l'aide de l'ONU soit fournie «en pleine coopération et coordination avec le gouvernement syrien». Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a qualifié les exigences du régime d'Assad d'"inacceptables". Le 10 juillet, la Russie a opposé son veto à une prolongation de neuf mois de l'opération d'aide au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU).

Le 27 juillet, le ministère russe des Affaires étrangères a annoncé que la normalisation entre Damas et Ankara se poursuivrait via le processus d'Astana, bien qu'on ne sache pas où se tiendront les futures réunions. En juin, le Kazakhstan avait annoncé qu'il n'accueillerait plus de telles discussions. Néanmoins, le ministre syrien des Affaires étrangères Faisal Miqdad a rencontré des responsables iraniens à Téhéran le 30 juillet pour discuter du renforcement des liens entre les pays alliés.

 

PARIS : LARA DIZAYEE À LA FASHION WEEK

Une créatrice kurde à la Semaine de la Mode de Paris : l’événement est inédit et inattendu s’est déroulé le 3 juillet au cœur de Paris. Ce jour-là la jeune créatrice kurde irakienne Lara Dizayee a présenté au public parisien dans les salons historiques de la Maison de l’Industrie, place Saint-Germain des Prés, une bonne trentaine de créations somptueuses inspirées de costumes traditionnels kurdes. Son défilé par la beauté, la diversité et l’harmonie des couleurs, des matières, l’agencement des formes et des accessoires évoquant dans l’imaginaire collectif les princesses des Mille et une nuits ont ébloui le public parisien, des professionnels de la. Mode et des media.

Après ce défilé, la créatrice a tenu à rencontrer la communauté kurde de Paris le samedi 8 juillet à l’Institut kurde. Devant un public où il y avait beaucoup de jeunes, elle a évoqué son itinéraire, et sa carrière initiale de journaliste aux Etats-Unis, de communicante dans une grande entreprise étrangère de pétrole au Kurdistan afin d’assurer son indépendance financière. Une fois celle-ci acquise, elle s’est mise à travailler dur pour s’approprier et faire connaître le riche héritage culturel kurde dans le domaine vestimentaire, domaine qu’elle maîtrise mieux que tout autre même si depuis son enfance elle a baigné dans une atmosphère musicale. Son père, Homer Dizayee, est un auteur compositeur kurde célèbre, considéré par ses fans comme l’Adamo du Kurdistan en raison de ses belles chansons d’amour. Polyglotte, il est aussi tout à fait à l’aise pour chanter « Ma liberté » ou « les Feuilles mortes » en français, Sinatra en anglais ou les classiques des musiques persane, arabe ou turque.

Au bout des années d’efforts et grâce aux réseaux sociaux Lara Dizayee a su attirer l’attention de la revue de mode Vogue qui lui a consacré un long et élogieux reportage. Celui-ci a dû retenir l’attention des organisateurs de la Semaine de la Mode de Paris qui ont pris contact avec elle et ils l’ont invitée à venir à Paris présenter ses créations.

C’est le début de réalisation de mon rêve d’enfance, a dit Lara Dizayee lors de rencontre avec les Kurdes avant d’ajouter : Je veux dire aux Jeunes : allez jusqu’au bout de vos rêves ! N’y renoncez jamais ; A tout prendre, il vaut mieux tenter une nouvelle expérience au risque de se tromper que ne pas la tenter pour ensuite avoir des regrets.

Bel encouragement pour ses jeunes auditeurs dont quelques-uns s’inspireront peut-être de son parcours. (Voir aussi Rûdaw p. 6 et Myluxury p. 84 de la revue e presse).

 

JERUSALEM : LE FESTIVAL DE LA CUISINE KURDE

Le 8e festival de la cuisine kurde a été inauguré le 4 juillet à Mesbaret Zion, près de Jérusalem, dans le parc municipal par le maire Yoran Shimon et le président de la communauté kurde d’Israël Yehuda Ben Yosef.

Une vingtaine de chefs venus d’un peu partout d’Israël ont présenté aux visiteurs les grandes spécialités de la cuisine kurde. Parmi elles, les dizaines de variétés des kutilk ou kofte, boulettes de blé finement concassé farcies aux divers légumes, condiments, viande hachée, fruits secs et autres condiments préparées avec des modes de cuisson variant d’une région à l’autre du Kurdistan. Autre spécialité à l’honneur les innombrables variétés de dolmas, aubergines, courgettes, poivrons, oignons, feuilles de vigne ou de lierre farcies avec du riz, du savar (boulghour) au sumac agrémentés d’épices et condiments divers en version végétarienne ou avec de la viande farcie. Et puis des dizaines de plats à base de céréales et de laitages, des lentilles et de pois chiches, un festin des richesses agricoles de la haute Mésopotamie déclinées en spécialités culinaires tout au long d’une histoire multimillénaire sans oublier les nombreuses et délicieuses pâtisseries au miel, pistaches et noisettes ou au fromage. Un régal pour les 20.000 visiteurs du festival, surtout pour les végétariens. D’après le reportage de la chaîne d’info kurde Rûdaw du 6 juillet, les drapeaux kurdes flottaient dans l’air et Itzek Kala a donné un concert de musique kurde en plein air pour mettre de l’ambiance dans ce festival qui, au fil des ans, est devenu avec la célébration de Newroz, un rituel pour les juifs kurdes qui gardent la nostalgie du Kurdistan et de ses traditions.

Selon les estimations courantes les juifs kurdes seraient de 150.000 à 200.000 en Israël. Outre Jérusalem où il y a un quartier kurde, ils vivent éparpillés dans tout Israël. Ils participent activement à la vie économique et politique du pays. L’un d’entre eux Itzhac Mordekhaï est devenu un temps ministre de la Défense, un autre, Mickey Levy, un juif originaire de Cizira Botan, au Kurdistan de Turquie, a été le président de la Knesset dans la précédente législature.

Les juifs constituaient depuis l’Antiquité une composante importante de la population du Kurdistan tant dans les villes que dans les campagnes jusqu’aux années 1950 où ils partirent s’installer en Israël. Depuis il ne reste plus que quelques milliers de binecû (de souche juive), des juifs convertis qui depuis la fin du régime de terreur de Saddam Hussein, revendiquent à nouveau leur judéité, restaurent avec l’aide du gouvernement du Kurdistan, leurs lieux de culte et de mémoire.

 

LAUSANNE : CENT ANS DE MALHEURS POUR LES KURDES

Il y a cent ans, le 24 juillet 1923, les Alliés vainqueurs de la Première Guerre mondiale signaient à Lausanne un traité de paix avec la Délégation du gouvernement de la Grande Assemblée nationale turque victorieux d’une guerre d’indépendance contre une armée grecque soutenue par les Britanniques, une guerre dont les principales batailles eurent lieu en 1921 et 1922, qui fit environ 10 000 morts côté turc.

Contrairement aux traités du système de Versailles dont les termes étaient dictés par les Alliés aux puissances vaincues, parfois de manière humiliante avec les conséquences que l’on sait, le Traité de Lausanne couronnait plus de huit mois d’âpres négociations et représentait un compromis où chacun des États signataires, en premier lieu la Turquie, la Grande Bretagne et la France, semblait y trouver son compte. Aussi, sa signature au Palais Rumine de Lausanne donna-t-elle lieu à une cérémonie grandiose à laquelle assistaient, entre autres leaders de l’époque, le président français Raymond Poincaré, Benito Mussolini, le ministre britannique des Affaires étrangères Lord Curzon, ancien vice-roi des Indes et, bien sûr, le chef de la délégation turque Ismet Pacha qui auréolé de son succès diplomatique allait devenir plus tard Premier ministre, puis président et « chef national » de la République turque.

Le traité établissait en Droit international un État turc souverain dans des frontières reconnues et abolissait les capitulations et autres privilèges octroyés par le défunt Empire ottoman aux ressortissants de certaines puissances européennes qui jouissaient ainsi d’un droit de regard sur le commerce, les finances et la justice turcs. Les revendications territoriales turques formulées dans leur récent Pacte national (Misak-i-Milli) furent satisfaites à l’exception notable du vilayet de Mossoul, correspondant à l’actuel Kurdistan irakien et déjà occupé de fait par les Britanniques comme l’ensemble de la Mésopotamie, et de quelques îles grecques proches des côtes turques.

Avant de se rendre à la table des négociations les Turcs avaient minutieusement préparé le terrain afin de renforcer leur main face à leur adversaire principal, l’empire britannique. Un accord signé le 3 décembre 1920 avec la République soviétique d’Arménie fixant la frontière entre celle-ci et la Turquie nouvelle lui servit d’argument de poids pour refuser toute négociation sur la question arménienne, prétendant qu’elle était déjà réglée. Ankara avait d’ailleurs conclu dans la foulée, le 26 mars 1921, un très avantageux traité d’amitié avec Moscou garantissant le tracé de ses frontières avec l’Union soviétique qui avait depuis 1919 apporté une aide financière et militaire cruciale aux nationalistes turcs de Mustafa Kemal qui se présentaient volontiers comme « anti-impérialistes » tout en utilisant par ailleurs le thème du « calife de l’islam captif des puissances chrétiennes » pour mobiliser les foules musulmanes. Francophone et laïc, Kemal ne tarda pas à séduire aussi les Français qui, après quelques déboires subis par leurs maigres bataillons dans des affrontements avec la population de Marash et d’Urfa opposée à leur présence, consentirent de signer le 20 octobre 2021 l’accord d’Ankara délimitant la frontière entre la Turquie nouvelle et la Syrie placée sous mandat français. Les provinces à majorité kurde de Djézireh à l’Est et de Kurd Dagh (Afrin) à l’Ouest se trouvaient ainsi incorporées à la Syrie. Paris poussa sa connivence jusqu’à fournir directement des armes aux Turcs en guerre contre la Grèce et contre leurs alliés britanniques. L’Italie fit de même.

Les Britanniques, de leur côté, avaient le 23 août 1921 intronisé à Bagdad l’émir Fayçal, fils du chérif de la Mecque que les Français venaient de chasser de Syrie, comme roi d’Irak, nouveau nom dont ils affublèrent l’antique Mésopotamie. Ils étaient assurés de leur domination sous une forme ou une autre sur les anciennes provinces arabes du défunt Empire ottoman, à l’exception de la Syrie et du Liban tombés dans l’escarcelle de la France. Il ne restait plus qu’à fixer au plus vite les frontières d’un futur État turc tampon entre la Russie communiste et les possessions britanniques et françaises du Proche-Orient et s’assurer que le nouvel État ne fût pas bolchévique.

C’est dans ce contexte particulier que les Alliés, épuisés et ruinés par la Grande Guerre, désunis et pressés d’en finir débutèrent les négociations avec une Turquie sortant pour la première fois depuis près de deux siècles victorieuse d’une guerre, fût-ce contre la fort modeste armée grecque, confiante et consciente de la division et de la fatigue de ses adversaires. En fait, les seuls véritables adversaires d’Ankara étaient les Britanniques affichant une superbe toute impériale. C’est le chef de leur délégation, le redoutable Lord Curzon qui avait fixé le lieu de la conférence, Lausanne, pour « ses excellentes infrastructures hôtelières », un lieu qui convenait aussi aux Turcs car situé sur la ligne du fameux Orient-Express reliant Constantinople à Paris et où depuis la fin du 19ème siècle résidait une communauté turque patriote, auxiliaire utile pour les besognes pratiques de la délégation turque.

A Lausanne, la délégation britannique avait pour priorité la question des frontières du nouvel État turc. Elle ne voulait à aucun prix céder aux Turcs le vilayet de Mossoul qu’elle savait riche en pétrole et dont les ressources agricoles étaient indispensables pour l’économie de la Mésopotamie placée sous son mandat. Elle argua du caractère kurde de ce vilayet pour refuser son annexion au futur Etat turc. Et la délégation turque de lui répondre qu’elle représentait les Turcs et les Kurdes, que l’Assemblée nationale d’Ankara comptait 72 députés du Kurdistan, que le futur Etat serait celui des Turcs et des Kurdes ! Le sort du peuple kurde fut ainsi au centre des débats et des tractations, en son absence. Finalement, la litigieuse question du vilayet de Mossoul fut remise à l’arbitrage de la Société des Nations. Celle-ci dépêcha sur place une mission sous la direction du comte hongrois Teleke. Après enquête, elle conclut que la grande majorité(7 habitants sur 8) de la population de ce vilayet souhaitait la création d’un Etat kurde indépendant mais la SDN où les Britanniques faisait la pluie et le beau temps décida d’annexer ce territoire à forte majorité kurde à l’Irak contre une vague promesse d’autonomie(self rule).En contre-partie de leur soutien à cette décision inique d’annexion la France et les Etats-Unis reçurent leur part du gâteau pétrolier kurde, à savoir chacun 23,75% des parts de Turkish Petroleum Company (TPC), rebaptisée Iraq Petroleum Cie, exploitant les riches gisements de Kirkouk. C’est pour l’exploitation de sa part du pétrole du Kurdistan que fut créée la Compagnie française du pétrole (CFP) ancêtre de Total. Les compagnies britanniques BP et Shell eurent droit chacune à une même part de 23,75% tout comme l’américaine Standard Oil. Les 5% restants allaient à l’ex-sujet ottoman et manager fictif de TPC Gulbenkian, dit Monsieur 5%. Le pétrole kurde fit ainsi le bonheur de tout ce beau monde et le malheur des Kurdes.

La priorité des Français qui avaient beaucoup prêté aux Ottomans et investi dans leur empire finissant était la question du règlement de la dette ottomane. Pour le reste, ils s’étaient déjà entendus avec les Turcs et, signe de leur bonne entente, ils séjournèrent dans le même palace lausannois pendant toute la durée de la conférence.

Ces questions de fonds et prioritaires prirent de longs mois de tractations difficiles, souvent tendues au point de provoquer une suspension de quelques semaines. Pour se donner bonne conscience, les Alliés, qui avaient promis l’émancipation de tous les peuples opprimés par l’Empire ottoman, signé en août 1920 le traité de Sèvres prévoyant la création d’une Arménie et d’un Kurdistan, abordèrent le sort des minorités dans une commission mais la délégation turque se montra intraitable. Elle finit par accepter l’octroi aux minorités non musulmanes, devenues après le génocide arménien et l’expulsion des Grecs numériquement résiduelles, le droit de pratiquer librement leur culte, de créer et entretenir à leurs frais des écoles, des fondations, des églises, d’avoir une presse et des publications et de bénéficier de tous les droits politiques et civils reconnus à tous les citoyens turcs. Le traité de Sèvres fut enterré tout comme les fameux principes wilsoniens sur l’autodétermination des peuples et les exigences démocratiques affichées un temps par les Alliés qui acquiescèrent aussi à l’échange de populations entre la Turquie et la Grèce afin que chacun de ces États devienne « homogène ». Ainsi, après le départ forcé de près d’un million de Grecs d’Anatolie, victimes des pogroms pendant et au lendemain de la Grande Guerre et de la guerre gréco-turque qui l’a suivie, plus de 1,2 million d’autres Grecs furent arrachés à la terre de leurs ancêtres qui y avaient créé chaque ville, chaque village et développé l’une des civilisations les plus brillantes de l’humanité. Cette première épuration ethnique suscitera de sinistres vocations ailleurs tout au long du 20ème siècle.

Compagnons d’infortune des Arméniens et des Grecs, les Kurdes furent les grands perdants de Lausanne. Ils mirent un certain temps à se rendre compte qu’ils avaient été magistralement dupés par les dirigeants nationalistes turcs. Une fois la victoire militaire acquise et leur indépendance reconnue, ces derniers ne tardèrent pas à trahir leur promesse d’un Etat commun des Turcs et des Kurdes avec un Kurdistan autonome. Quelques mois après Lausanne, le 3 mars 1924 l’Assemblée nationale d’Ankara comptant, en gage de la promesse d’un État commun, 72 « députés du Kurdistan » ès qualités, vêtus souvent de leurs costumes traditionnels fut dissoute et la constitution qui la fondait révoquée. Un décret-loi interdit toutes les écoles et publications kurdes au même titre que les confréries religieuses. Le califat pour la défense duquel Mustafa Kemal avait appelé à l’aide les musulmans du monde entier fut aboli et le dernier calife contraint à s’exiler d’abord en Suisse, où il fut indésirable, puis en France où il vécut jusqu’à sa mort en 1944. Commença alors l’ultime phase de ‘l’homogénéisation » de cette Asie mineure déjà expurgée de ses populations chrétiennes grecques, arméniennes, assyro-chaldéennes : l’assimilation forcée des Kurdes constituant plus du quart de la population. De l’interdiction de la langue, de la musique, des publications aux déportations massives vers l’Anatolie, où selon une loi adoptée en 1932 ils devaient être dilués et turquisés par la population turque, jusqu’aux massacres génocidaires(Dersim 1936-1937) tous les moyens furent utilisés au service de cette « ingénierie démographique » dont les dirigeants nationalistes turcs, animés par le darwinisme social et convaincus d’appartenir à « une race de conquérants » pour laquelle tout est permis, sont devenus des experts. Héritier de Talat Pacha, architecte du génocide arménien, dont il récupéra les principaux cadres pour l’exécution de son « Plan de l’Est », c’est-à-dire du Kurdistan, pour faire disparaître les Kurdes en tant que peuple distinct doté de sa propre langue, de son identité et de son histoire. Les mots kurde et Kurdistan furent prohibés tout comme les prénoms kurdes ; les noms géographiques kurdes, souvent antiques, furent remplacés par des appellations turques agressives ou simplement ridicules comme Tunceli, « main de bronze », pour remplacer Dersim, « Porte argentée » car nichée dans une vallée aux sommets enneigés, martyrisée et détruite par l’armée turque, ou Semsûr, patrie du célèbre Lucien de Samsatte, rebaptisée Adiyaman, « Son nom est terrible » ! Devenus ainsi étrangers à une patrie rebaptisée, turquisée par les conquérants turcs sans complexe, les Kurdes vivent en étrangers pourchassés sur leurs propres terres, affublés des noms turcs triviaux (pierre noire, pierre blanche, rocher) ou déniant délibérément leur identité (Turc pur, fils de Turc, Turc).

Les Kurdes subirent ainsi un véritable génocide culturel sous la dictature d’Ataturk et sous les régimes de ses successeurs. L’usage dans l’espace public de leur langue resta interdit jusqu’en 1992. Le traité de Lausanne qui consacra la partition du Kurdistan et l’écartèlement du peuple kurde entre quatre nouveaux Etats fut à l’origine d’un siècle de malheurs et de tragédies pour le peuple kurde. Un traumatisme terrible dans la mémoire collective kurde.

Avec le recul, on peut reprocher aux dirigeants kurdes de l’époque, qui avaient choisi de bonne foi de rester solidaires du peuple turc en détresse, de s’être fait berner et duper avec une naiveté confondante et imbécile par Mustafa Kemal qu’ils pensaient bien connaître car ce dernier avait durant la Grande Guerre séjourné pendant près d’un an au Kurdistan en tant qu’inspecteur général du front russe ; il avait fréquenté les notables et dignitaires religieux kurdes qu’il traitait avec respect, une déférence qu’on retrouve dans les lettres et messages qu’il leur adressait pendant sa guerre d’indépendance publiés dans son fameux Nutuk(Discours) fleuve de 1927. A leur décharge, qu’ils n’étaient pas les seuls : Kemal a berné et trahi ses propres compagnons d’armes comme le général Karabekir, qui en tant que commandant de l’unique armée ottomane restée intacte, celle de l’Est, combattit avec succès contre l’Arménie et joua un rôle décisif dans la guerre d’indépendance turque. Même le très expérimenté et rusé Lénine se fit duper par Kemal qui pour les besoins de sa cause et afin d’obtenir le soutien financier et militaire de Moscou fit créer de toutes pièces un Parti communiste turc qui, une fois la victoire acquise, fut dissous. Les activités communistes tolérées jusqu’en 1924 furent interdites ; les militants les plus en vue assassinés ou embastillés pour de longues années comme le grand poète turc Nazim Hikmet. Son prédécesseur Talat Pacha jusqu’à la veille du génocide arménien de 1915 dont il fut l’architecte principal se faisait passer et était considéré par les organisations arméniennes elles-mêmes comme « pro-arménien ». Son parti « Union et Progrès » était arrivé au pouvoir avec la promesse d’établir une monarchie constitutionnelle garantissant l’égalité de tous les sujets de l’empire.

Le recours à la ruse politique, à la duperie, à la dissimulation le temps de parvenir à ses fins sont des moyens vieux comme le monde, qui ne sont pas l’apanage des seuls dirigeants turcs dépourvus de tout scrupule car issus des systèmes autocratiques où ils n’ont pas de compte à rendre. Force est cependant de constater que de Talat Pacha à Mustafa Kemal et à Erdogan les leaders turcs se surpassèrent dans l’art du cynisme, de la duperie et de la dissimulation ainsi que celui, plus rare, de ‘l’ingénierie politique et démographique ». Leur art diabolique, efficace à court terme, finit tel un poison par détruire le tissu social et les bases d’un vivre ensemble. Malgré un siècle de malheurs sans nombre, les Kurdes sont toujours là et continuent de résister et de combattre les conséquences du funeste traité de Lausanne. Les Alliés qui les ont sacrifiés pour leurs intérêts à court terme devraient aussi se souvenir et assumer leur part de responsabilité dans le chaos actuel du Proche-Orient et dans le sort du peuple kurde.

(Voir aussi dans la revue de presse Le Temps des 12, 13 et 24 juillet, herodot.net des 23 juillet et la dépêche d’AFP du 22 juillet p.82).