Dans les années 2002 et 2003 avec le soutien du FASILD ( Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations) et de l’Institut Kurde de Paris, nous avons mené une enquête de terrain auprès des jeunes âgés de 15 à 30 ans de la deuxième génération kurde en France. Une majorité des interviews (68%) ont été réalisées auprès des jeunes de 18 à 25 ans.
L’article ci-dessous porte sur une partie de cette étude :
La question de représentativité de l’échantillon :
La population kurde en France par ses liens d’appartenance et ses trajectoires a un visage multiple. Pour représenter toute la population kurde en France, une étude approfondie auprès d’un plus grand nombre de personnes serait nécessaire. Toutefois, dans ce premier travail de terrain, sans avoir la prétention d’être ni exhaustifs, ni représentatifs, nous avons eu le souci de donner une image aussi fidèle que possible de la deuxième génération kurde en France en tenant compte de la diversité de ses origines socio-économiques, culturelles et géographiques. Ainsi, pour la constitution de notre échantillon avons-nous retenu les critères suivants : l’origine sociale et géographique de la famille et les raisons de son exil, le lieu de résidence en France, l’âge d’arrivée en France et le genre ;
Sur les 107 personnes interviewées 76 étaient originaires du Kurdistan de Turquie, 19 d’Irak, 5 d’Iran, et 7 de Syrie. 48% des entretiens ont été réalisés en Île de France (départements 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95 ) et 52% en province dans les régions suivantes : Alsace (Strasbourg, Colmar), Pays de la Loire (Angers), Centre ( Orléans, Pithiviers), Midi-Pyrénées (Montauban, Albi), Poitou-Charentes (Angoulême), Aquitaine (Bordeaux ), Picardie (Oise : Creil ), Haute Normandie (Vernon, Val de Reuil, Léry, Rouen ) et Bourgogne (Dijon).
Nous avons mené une majorité des interviews auprès de personnes nées en France ou arrivées avant l’âge de 7 ans (63,5%). Pour mieux saisir le rôle des femmes dans les transformations des modes de vie des familles en France, nous avons veillé à leur bonne représentation dans notre échantillon ; ainsi 50% des personnes interviewées sont du sexe féminin.
Dans cette recherche, notre but était avant tout de faire un état de lieux de la situation des jeunes de la deuxième génération kurde en France : voir s’il y a eu une mobilité sociale par rapport à leurs parents; Si on constate un changement dans l’organisation de la famille et des mariages ; Quelles sont leurs pratiques langagières ? Quel regard ont-ils sur le pays d’origine des parents et sur la France ? Et enfin quel est leur niveau de participation dans les associations kurdes ou françaises ?
L’analyse de cette enquête nous a permis de dégager les points suivants :
- 1- Les parcours scolaires
Dans notre échantillon, parmi ceux qui continuent leurs études, c’est-à-dire parmi les 71 personnes, 40% font des études supérieures, 55% sont au collège et au lycée et 5% préparent un CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle). Les tranches d’âge de ceux qui font des études supérieures (BTS Brevet de Technicien Supérieur, Grandes écoles ou Universités) varient de 18 à 26 ans et les tranches d’âge de ceux qui sont au collège ou au lycée de 15 à 22 ans. Le nombre des filles qui étudient à l’université est supérieur à celui des garçons (64% femmes contre 36% des hommes).
Pour la plupart des jeunes de la deuxième génération kurde, à l’instar des autres jeunes issus de l’immigration, l’école reste encore un moyen d’intégration et d’ascension sociale. 80% des lycéens souhaitent poursuivre des études supérieures. Cependant nous constatons que sur les 83 personnes âgées de 18 à 30 ans, seulement 32 d’entre elles, soit 38,5%, 1 sont rentrées à l’université ou dans des écoles pour continuer des études supérieures ; et dans l’ensemble de notre échantillon (107 personnes), sur les 36 personnes qui n’étudient plus, 58% pour des raisons différentes (mariage, aider leur famille, échec scolaire), avaient arrêté leurs études avant d’avoir le baccalauréat. Ainsi, nous remarquons que les inégalités de réussite sont très grandes : par exemple sur les tranches d’âge de 21-22 ans, une personne de 21 ans est à l’université en maîtrise de droit alors qu’une autre du même âge est au lycée en Terminal.
Mais dans l’ensemble, malgré quelques échecs scolaires, le niveau d’étude des jeunes a évolué par rapport à celui de leurs parents. Rappelons qu’à leur arrivée en France, 66% des mères et 52% des pères étaient analphabètes ou avaient suivi quelques années de cours élémentaires. La majorité des jeunes souhaitent poursuivre des études supérieures. Avoir un diplôme, pour la plupart d’entre eux est un moyen de réussir dans la vie professionnelle et de gravir les échelons. Une partie de ces jeunes, qui ont fini ou arrêté leurs études sont rentrés dans le monde du travail
1 Parmi ces 83 personnes âgées de 18 à 30 ans, 18 d'entre elles (soit 21,7%) sont encore au lycée ou au collège et 33 autres, soit 39,7%, ont arrêté leurs études avant ou après avoir eu leur baccalauréat.
- 2- Activités professionnelles
Sur les 107 personnes, 36 (14 F et 22 H) n’étudient plus. Parmi elles 4 sont femmes au foyer, 15 travaillent dans les secteurs propres à leur communauté (Bâtiment, confection et restauration ) et 12 travaillent en tant que cadres, fonctionnaires ou employés. Cette population compte aussi 1 emploi jeune, 1 stagiaire et 3 personnes sans travail. Leur tranche d’âge varie de 16 à 30 ans. Dans notre échantillon, aucun jeune n’a continué ses études après l’âge de 26 ans.
Bien que cet échantillon, vu le nombre des personnes qui travaillent, ne peut pas être représentatif de toute la population kurde en France, il reflète quelques schémas de l’insertion professionnelle des jeunes de la deuxième génération et de leur mobilité sociale.
Nous remarquons que 41,6% d’entre eux travaillent dans les secteurs du bâtiment, de la confection et de la restauration.
D’autres personnes ont tenté d’investir des secteurs en rapport avec leurs études et leurs ambitions professionnelles. Existe-t-il une corrélation entre le niveau d’étude et l’accès à l’emploi ? Pour répondre à cette question, une étude plus approfondie auprès d’un plus grand nombre de personnes serait nécessaire.
- 3-Les pratiques langagières
En France, à la maison, la pratique des langues maternelles est prédominante. Une majorité des parents, plus particulièrement les Kurdes originaires de la Turquie et de l’Irak, maîtrisent assez mal le français (59% des parents parlent « très peu » ou « mal » le français). Par contre leurs enfants, grâce à la scolarisation en France, ont acquis une parfaite maîtrise du français. Une majorité d’entre eux ont souligné qu’ils s’expriment mieux en français que dans leur langue maternelle. Ces enfants sont plutôt bilingues ou parfois trilingues. Ils ont déclaré qu’ils utilisent plutôt leurs langues maternelles avec les parents (le kurde, le turc et dans certains cas le persan ou l’arabe), mais avec leurs frères et sœurs, ils s’expriment le plus souvent en français. Pour certains, le français c’est la langue dans laquelle ils « s’expriment mieux et c’est également la langue dans laquelle ils pensent ».
Si pour une majorité d’entre eux conserver la langue maternelle « est une façon de préserver ses origines », certains d’entre eux ne savent pas la parler et ne la comprennent pas (soit 16,8% de notre échantillon). En fait, une distinction est à faire sur la pratique de la langue kurde chez les jeunes selon le pays d’origine de leurs parents. Il faut noter que sur les 76 personnes dont la famille est originaire de Turquie, la pratique de la langue turque est plus courante que celle du kurde (67 personnes, soit 88%, parlent le turc).
- 4-Les stratégies matrimoniales
Sur les 20 personnes mariées ou fiancées de notre enquête, 18 personnes se sont mariées ou fiancées avec un Kurde (soit 90%), alors que seulement 2 d’entre elles, deux jeunes filles, se sont mariées avec un Français (10%).
Bien qu’une majorité des jeunes disaient souhaiter se marier avec un(e) Kurde ( 73 sur 107 personnes, soit 68%), quand nous les avons interrogés sur le mariage de leurs enfants, la plupart d’entre eux ont répondu qu’ils les laisseraient libres dans leur choix. (76 personnes sur 107 soit 71%).
Différents facteurs, comme le milieu socio-culturel de la famille, le milieu résidentiel en France, la proximité avec la communauté, influencent les stratégies matrimoniales de ces jeunes. Cependant, une étude plus approfondie auprès d’un plus grand nombre de personnes mariées serait nécessaire pour mieux comprendre ces stratégies matrimoniales.
- 5-L'engagement politique : participation associative
Nous remarquons que les jeunes de la deuxième génération, à l’instar de la jeunesse en France, semblent être déçus de la politique menée par les politiciens et se méfient de la plupart des associations qui sont liées aux mouvements politiques. Sur les 107 jeunes, 56 (soit 52,3%) ne font pas confiance aux politiciens français contre 39 (soit 36,5%) et 11,2% se déclarent indifférents. 58 sur 107 (soit 54%) ne souhaitent pas adhérer à une association, 32 personnes (30%) sont membres ou sympathisants d’un mouvement associatif ou politique et 17 (16%) participent de temps en temps aux activités des associations kurdes, souvent en accompagnant leur famille.
Dans notre échantillon, les femmes sont moins actives que les hommes dans la vie associative et politique (10% des femmes contre 20% des hommes). Pour mieux comprendre les activités associatives des femmes une étude approfondie auprès d’une plus large population féminine serait nécessaire.
Nous constatons que les jeunes, malgré cette distance avec les mouvements associatifs et politiques, ne sont pas du tout dépolitisés et ne restent pas indifférents aux problèmes de la société française et à la question kurde. La majorité d’entre eux ont participé aux différentes manifestations organisées que ce soit pour les Kurdes ou pour la France (par exemple, les manifestations du mois de mai 2002 lors des élections présidentielles). Plusieurs d’entre eux (63,5%) se sont montrés sensibles aux différentes questions posées à la société françaises (les jeunes et la vie dans les cités, les sans-papiers, le chômage, l’injustice et l’inégalité, le racisme, la violence etc.) mais aussi aux questions kurde et internationales telles que Palestine, Afrique etc.
- 6- Les jeunes issus de l’immigration : Citoyens à part entière ?
L’ensemble des jeunes que nous avons interviewés se sentent enracinés en France, et s’engagent dans la vie de la cité par divers moyens.
Au moment des élections 2002, à l’instar des jeunes « français de souche », certains ont participé à ces élections et d’autres non. Cependant une majorité d’entre eux n’ont pas pu participer (64,5%) et faire entendre leur voix, soit parce qu’ils n’étaient pas naturalisés (41%), soit en raison de leur âge ou parce qu’elles n’avaient pas encore reçu les documents nécessaires pour pouvoir y participer. En fait sur les 107 personnes interrogées, 38 seulement avaient le droit de vote (soit 35,5%). Parmi elles 19 (soit 50%) ont voté pour ces élections.
Bien que la majorité de ces jeunes sont arrivés en bas-âge ( 70 d’entre eux sont arrivés en France avant l’âge de 10 ans soit 65,4% ) ou nés en France (26 personnes sont nées en France soit 24,2%), la nationalité française n’est pas acquise facilement, notamment pour ceux dont les parents n’ont pas été naturalisés.
En fait, pour un adolescent qui jusqu’à ce jour, se croyait égal à ses camarades de classe, se lancer dans la procédure de naturalisation pour « prouver qu’il est intégré » et « mérite d’être français », n’est pas une tâche très facile. La longueur de la procédure et les demandes variées des préfectures pour constituer le dossier de naturalisation découragent nombre d’entre eux. Lors de la procédure de naturalisation, certains d’entre eux redécouvrent leur différence de statut avec leurs camarades de classe.
Ces jeunes ont eu ce sentiment qu’ils devaient « prouver plus que les autres leur attachement à la société française pour se faire accepter» 2. Comme le note Catherine Wihtol de Wenden 3, à ces jeunes d’origine immigrée, bien qu’ils « ont parcouru comme leurs camarades français les mêmes lieux de socialisation : école, quartier, mouvement associatif, et parfois quelques formes de mobilisation collective », « on demande davantage de gages de civisme qu’aux autres. »
Cela fragilise davantage la situation des jeunes de la deuxième génération. Mais comme l’a noté l’un des jeunes, des fois, paradoxalement cette situation devient un « stimulant » et les conduit à « montrer le meilleur de soi » et à « réussir mieux que d’autres jeunes.»
2 Catherine Wihtol de Wenden.-, " Nationalité, statut juridique et processus d'intégration ", In : Les politiques d'intégration des jeunes issus de l'immigration, s. la dir. de Bernard LORREYTE, CIEMI, L'Harmattan, 1993,p. 206
3 idem, p. 206.
Au terme de ce travail nous avons constaté que les parcours scolaires, socio-professionnels et familiaux de ces jeunes, sont très divers. Différents facteurs expliquent cette diversité. Dans cet article, je cite brièvement quelques uns de ces facteurs4:
- 1- Le niveau socio-culturel de la famille et sa mobilité sociale en France :
Bien que la réussite chez les enfants de milieu social moins favorisé ne soit pas rare, nous constatons que ceux dont les parents ont un niveau d’instruction plus élevé, ont plus de chance d’accéder aux études supérieures. Par exemple, parmi les parents des 21 jeunes qui ont arrêté leurs études avant le baccalauréat, 76% ont un bas niveau scolaire (illettrés ou école primaire) et seulement 5% ont un niveau d’étude supérieure au Baccalauréat. Alors que parmi celles qui font des études supérieures, 44% des parents ont un niveau d’études supérieures et 34% ont un bas niveau scolaire.
Malgré le souhait de voir leurs enfants réussir et continuer leurs études, les parents moins instruits ont plus du mal à suivre leur scolarité. La méconnaissance de la langue française et du système scolaire les met dans une situation assez délicate et fragilise leur autorité parentale. De crainte de se déprécier davantage auprès de leurs enfants, la plupart évitent de se rendre à l’école ou de vérifier les devoirs scolaires. Cette absence est souvent interprétée par l’institution scolaire comme la marque de l’indifférence des parents vis-à-vis de la scolarisation de leurs enfants. Toutefois nous remarquons que l’attitude de ces mêmes parents envers les enfants change avec le temps et qu’ils se montrent plus attentionnés vis-à-vis de leur scolarité et ils s’engagent davantage pour que leurs enfants réussissent. L’amélioration de leur niveau de français et la familiarisation avec le système scolaire sont en partie à l’origine de ce changement.
Dans tous les cas, les jeunes ont souligné l’importance du soutien moral et matériel des parents dans leur réussite scolaire. Toutes ces familles, les plus aisées comme les plus démunies, s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants. Certaines attachent beaucoup plus d’importance à la réussite scolaire de leurs enfants et les encouragent à continuer les études malgré les difficultés rencontrées. Pour assurer les meilleures chances de réussite à leurs enfants quelques parents n’ont pas hésité à déménager de leur quartier jugé « chaud » pour aller dans un quartier plus « calme » et réputé pour son école ; ou à faire un effort financier pour scolariser leurs enfants dans des écoles privées pour « être plus tranquille.»
4 Pour les résultats de cette enquête voir notamment : MOHSENI Chirine, La deuxième génération kurde en France au carrefour de repères fluctuants, Rapport d’enquête 2003 réalisé avec les soutiens de FASILD ( Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations et de l’Institut Kurde de Paris, Paris 2003, 136 p + Annexe ; MOHSENI, chirine, « Des jeunes issus de l’immigration kurde», in Revue Passerelles, Kurdistan, n° 30 , Printemps-Eté 2005, pp. 159-177.
- 2- L’accueil dans le milieu scolaire joue aussi sur l’intégration de ces jeunes.
Nous constatons que l’accueil des enfants à l’école et puis leur orientation sont un moment crucial qui conditionne en grande partie leur devenir scolaire et professionnel.
L’école est un lieu de cohabitation où l’enfant découvre un autre milieu social que son milieu familial. C’est à l’école que pour la première fois il se rend compte de sa différence. Comme disait un des jeunes c’est à l’école qu’il s’est senti « plutôt étranger », mais c’est là aussi qu’il a « appris à s’adapter à toutes les circonstances et à vivre avec les autres ».
Le premier jour de l’école a marqué beaucoup d’entre elles, particulièrement celles qui venaient d’arriver en France. Les premières années du primaire ont été décrites par ces jeunes comme la plus dure période de leur scolarité. La méconnaissance de la langue, le retard pour certains d’entre eux dû à leur âge d’arrivée en France et la précarité de la situation de leurs parents qui venaient de s’installer rendaient encore plus difficiles ces moments. Avec le temps, la plupart d’entre eux ont surmonté ces premiers épreuves en s’accrochant à l’apprentissage de la langue. La maîtrise de la langue est devenue un moyen pour atténuer leur différence avec les camarades de la classe.
Cependant, les récits de leur accueil à l’école montrent combien les situations varient d’une école à l’autre. Certains d’entre eux, malgré leur « différence », se sont sentis bien accueillis par l’école, d’autres se sont sentis rejetés et exclus de la classe.
Le parcours scolaire de ces jeunes est comme nous l’avons déjà noté très divers. Les inégalités de réussite sont très grandes. Elles vont de celui qui a frôlé la délinquance à celui qui a été « l’élève modèle de sa classe ». De celui qui a laissé filer ses rêves pour affronter la réalité de la vie à celui qui a su les réaliser.
- 3-Le troisième facteur c’est l’âge d’arrivée en France .
L’âge d’arrivée en France a des impacts sur la réussite scolaire et influe à son tour l’intégration à la société.
Bien qu’il existe des exceptions, celles qui sont nées en France ou arrivées avant l’âge de 7 ans ont plus de chance de réussir leur scolarité que celles qui sont arrivées plus tardivement vers 9-10 ans.
En France, l’orientation scolaire est le plus souvent liée à l’âge, ce qui pénalise parfois les enfants qui arrivent à l’école après le premier âge de la scolarisation et qui en plus ne parlent pas le français. D’après plusieurs études menées sur l’école 5 l’arrivée tardive en France constituent un des obstacles difficilement surmontables pour beaucoup de jeunes .
Certes certains jeunes, comme nous le montre l’enquête, avec leur ténacité, l’aide des enseignants et le soutien de leur famille réussissent à surmonter ces difficultés. Cependant, une majorité se trouvent confrontés aux problèmes du choix de filière. Leur méconnaissance du système éducatif rend encore plus difficile la poursuite de leurs études.
Certains de ces jeunes trouvent que le système éducatif français est très sélectif et ne leur a laissé ni assez de temps ni assez de chance pour se rattraper.
5 Claire SHIFF, « L’expérience migratoire et ses effets sur l’identité : le cas des adolescents primo-arrivants » ; In Turquie : les milles visages ; Politique, religion, femme, immigration, Isabelle RIGONI (coordination), éd. Syllepse, 2000 , p.181.
- 4- L’environnement ou leur lieu de résidence en France :
Un autre facteur qui explique la diversité de l’intégration de ces jeunes c’est l’environnement ou leur lieu de résidence en France.
Le fait de vivre dans des petites villes ou grandes villes, au sein de la communauté ou loin de la communauté influent l’évolution des comportements et les modes de vie des jeunes.
A plusieurs reprises, une majorité des jeunes ont noté que la cohabitation à l’intérieur de la communauté peuvent créer des contraintes sur les familles et empêcher certains changements en ce qui concerne leurs loisirs ou leur choix du conjoint. Par exemple, les comportements de quelques jeunes gens jugés «non convenables» soulèvent les critiques les plus vives à l'encontre des familles, ce qui conduit à l'isolement de celles-ci et leur rend la vie plus difficile au sein de la communauté.
Dans cette étude, nous remarquons qu’à la différence des grandes villes, dans des petites villes où il existe une forte communauté kurde, la marge des activités associatives des femmes se rétrécit significativement. En fait, dans ces villes, les sorties fréquentes de la femme sont très mal vue par la communauté. En fait, la crainte de la « mauvaise réputation » empêche souvent ces jeunes femmes de se joindre aux activités associatives qui se déroulent loin de leur résidence.
Dans l’ensemble même si chez une partie de ces jeunes, une précarité de l’emploi due à leur échec scolaire est constatée, une majorité aspire à une mobilité sociale. Comparant leur niveau d’études et leur insertion professionnelle avec ceux des parents, nous observons une nette différence.
Certes ces jeunes sont souvent écartelés entre la culture d’origine et la culture du pays où ils vivent. Mais, les études réalisées sur la deuxième génération nous montrent que « le combat entre ces deux instances de socialisation n’est pas un obstacle au processus d’intégration à la société française ». Ces jeunes ont noté que vivre entre deux cultures est assez déconcertant et peut parfois déstabiliser leur équilibre ; mais ils trouvent aussi que ceci pourrait être « une grande richesse de leur vie » s’ils arrivent à sortir de cet entre-deux et à apprendre à vivre en accord avec les deux cultures. Une majorité d’entre eux ont souhaité de transmettre cette richesse à leurs enfants.
Lors de cette enquête Nous avons constaté le manque d’un recensement des Kurdes en France et aussi la nécessité des études monographiques dans différents régions pour mieux saisir l’impact du milieu résidentiel sur les parcours des jeunes issus de l’immigration kurde. Ceci pourrait-être comme une piste de recherche pour l’étude sur l’intégration des Kurdes en France.
Pour conclure je cite quelques paroles de ces jeunes sur les différentes questions que nous leurs avons posées :
La migration vers la France :
« Je suis sûre que s’ils n’étaient pas sortis (du pays ), notre vie n’aurait pas été la même. »
Propos d’une jeune fille née en France
« Tout était très bizarre, j’avais l’impression qu’un matin je me suis levée et que je me trouvais dans un autre monde.»
Jeune, arrivée à l’âge de 10 ans en France
« Notre départ a coïncidé avec un moment critique en Turquie, à savoir les années 80. C’est pour ça on a quitté la Turquie.(… ) Je me souviens très bien de cette époque, parce que c’était la veille du coup d’Etat miliaire, ils venaient chercher un des cousins de mon père. »
Jeune, arrivée en France à l’âge de 6 ans; parents Kurdes de Turquie
« Il y a eu la guerre. Il y avait une question de vie et de mort, ils nous bombardaient avec les chimiques tout ça. Nous étions obligés de quitter le pays. Après nous sommes arrivés en Turquie. Puis en Turquie il y avait les Nations Unies qui nous ont aidé pour nous faire passer en France. »
Jeune, arrivé en France en 90 à l’âge de 9 ans, parents Kurdes d’Irak
Le parcours scolaire :
Du rêve réalisé au rêve inachevé
« Je me rappelle quand on est arrivé pour la première fois à l’école, il pleuvait. On ne connaissait personne. Mais je n’étais pas toute seule, j’étais avec ma sœur ; on était toutes les deux ; ça me rassurait. On voyait des enfants qui piaillaient, criaient ; ça semblait bizarre et puis y a un monsieur qui était le directeur. Il est venu nous parler. On a rien compris de ce qu’il disait, mais il nous a tapé sur l’épaule, ça nous a rassurées.»
Jeune fille, âge d’arrivée en France 6 ans
« Au CP, j’ai redoublé pour apprendre à parler, j’avais déjà 7 ans. Mais, après tout, s’est bien passé. J’avais une maîtresse qui m’a beaucoup aidée. Je me suis beaucoup accrochée, je sais que j’étais curieuse d’apprendre le français, de pouvoir parler avec mes copines comme les autres copines »
jeune fille, arrivée à l’âge de 7 ans en France
« J’étais toujours à la tête de la classe. Parce que quand on est immigré, on doit prouver et on doit se forcer plus que les autres. On a plus de volonté que les autres, en fait c’est un peu une obligation aussi, obligation de s’intégrer, de réussir, parce que on a nos parents qui se sont quasiment sacrifiés pour nous et la vraie réussite est là. »
Jeune homme, arrivé à l’âge de 9 ans
« Il y a quelque chose qui est toujours restée. Sauf à la fac, c’est quelque chose que j’ai toujours ressentie en fait, que j’étais vraiment différente. Mais cette différence là, non seulement mes camarades me faisaient sentir, mais mes profs aussi dans la mesure où ils me vantaient et ils m’applaudissaient devant mes camarades. Ça les rendait distantes vis-à-vis de moi. En fait j’ai toujours ressenti comme si… comme si j’étais un peu leur conscience. Comme si l’étrangère elle arrivait mieux qu’eux et ça n’était pas normal ! Mais ça n’a rien à voir. C’est ça que je me suis tuée à expliquer et je crois je n’ai pas réussi ! »
Jeune fille arrivée à l’âge de 10 ans en France
« De l'école je n'ai que des mauvais souvenirs. Les études pour moi étaient l'enfer de la vie. J'ai eu des difficultés au collège, tous mes amis étaient des jeunes de banlieue. J’ai eu des mauvaises fréquentations. Mon père était derrière moi mais je ne l'écoutais pas. Mon entourage ne me permettait pas. Puis on a déménagé (…). Depuis j’ai vraiment changé. »
jeune homme 23 ans, arrivé en France à l’âge de 7 ans et demi, a arrêté ses études après avoir eu le BEP
« Ce qui m’a marqué le plus c’est le jour où ils m’ont dit qu’ils me viraient de l’école ; que c’était fini. J’avais 15 ans à l’époque. (…) Je suis viré de l’école, parce que j’y allais pas beaucoup. (…°) Je suis tombé dans la délinquance avec des gars qui étaient avec moi dans le même quartier. En n’allant pas à l’école on se trouvait et puis on allait faire des conneries. (…) On est petit à cet âge là, on ne sait pas, on ne comprend pas. C’est vrai qu’au jour d’aujourd’hui si on me demandait de retourner à l’école, je le ferais volontiers. Bon ce qui est fait, est fait. C’est passé maintenant. Le problème c’est que quand les parents ne savent pas parler ( le français), ne savent pas lire, ne savent pas écrire, ils ne peuvent pas aider les enfants. Quand on leur ramène un cahier, s’ils ne savent pas lire, alors comment peuvent-ils savoir que la situation de leur fils à l’école n’est pas bonne ? (…) A la sortie de l’école, j’ai arrêté toutes mes conneries et je me suis mis à travailler. J’ai toujours été travailleur. (…°) Mais, c’est ça le problème je n’ai pas eu d’aide. Si j’avais eu de l’aide, je suis sûr que j’aurai fait même beaucoup plus (…) Personne n’a été là pour me donner un coup de main ou me prendre par la main pour me dire viens. »
Jeune homme 30 ans, marié, arrivé à l’âge de 2 ans en France, a arrêté les études au Collège et travaille à son compte dans le Bâtiment
« Vous savez les jeunes quand de jour en jour ils grandissent, ils se mettent des choses dans la tête. Ils vont à droite, à gauche et quand ils ouvrent leurs yeux, ils sont écartés. Moi j’apprenais bien, j’étais le premier en classe, et puis quand on est avec des copains, il y en a qui vont à droite et à gauche et commencent à ne pas aller à l’école. Et moi je les ai suivis. C’est après la 3e que j’ai arrêté. (…) Vous savez pour nous c’était dur, parce que nos parents ne comprenaient pas le français. Moi je suis arrivé en 3e, il y avait des choses que je connaissais pas à la différence des Français que leurs parents pouvaient aider ; moi je ne pouvais pas demander " papa qu’est-ce que c’est ça ? " C’est dur pour les parents qui ne savent pas ; très dur. J’étais en 3e, je ne faisais rien. Bon après je me suis dit c’est pas la peine, on va donner un coup de main au papa, on va travailler ( rire). J’ai eu le brevet, après j’ai arrêté . Mais bon après j’ai regretté. Depuis je travaille dans le bâtiment. Nous on travaille dur, on est ravaleur, on travaille à l’extérieur. J’avais 19 ans.
Là je suis à mon compte depuis 5 ans (…) J’ai choisi le bâtiment parce qu’en fait c’est tout simple, les Kurdes ils sont tous comme ça. Moi mon père était maçon. Mais je regrette parce que l’école est très importante. Mais au départ on ne sait pas. Moi pour mon fils je ne ferais pas la même erreur. Lui il ne devrait pas devenir ravaleur. Ça c’est sûr.»
Jeune homme marié 24 ans, ravaleur ( Bâtiment)
Être kurde en France
« Avec l’âge, on a un autre regard sur les origines. On a envie de les connaître et de les accepter comme une partie de son identité.»
Jeune fille, 20 ans, née en France
« J’ai écris un livre pour ma classe en 1995-96 qui s’appelle « ma guerre ». Dans ce livre j’ai parlé de ma vie, de ce qui nous est arrivé, du Kurdistan, des mariages, le pourquoi de notre venue en France, de quelle manière on est venu ici, enfin de tous mes souvenirs quoi. Je l’ai lu à ma classe. C’est comme si je me présentais. Quand je leur ai raconté mon histoire c’était triste. J’étais bien accueilli par tout le monde. Après, tous ils m’ont donné un coup de main pour le finir. Dans ma classe personne ne savait ce qu’était Kurdistan (… ) parce que ce n’est pas indiqué sur une carte. En fait, il fallait que je m’exprime. Mes idées revenaient comme ça. Il fallait que je leur dise "qui suis-je dans cette classe ? " " d’où je viens " (… ).»
Jeune homme, 21 ans, arrivé à l’âge de 9 ans en France
Où voient-ils leur avenir ?
« Plus tard je vais renter au Kurdistan. En fait pour moi c’est comme si le Kurdistan c’est ma maison, un jour je suis parti de ma maison et puis à la fin je vais rentrer après avoir travaillé.»
Jeune homme, 22 ans, arrivé en France à l’âge de 3 ans
« Je vois mon avenir en France, parce que j’ai grandi ici. Mes plus beaux souvenirs c’étaient ici, quand les dents sont tombées, (…). Bon ce sont des petites choses de la vie mais bon ... ça fait partie de nous. (…) »
Jeune fille, 18 ans, arrivée en France à l’âge de 6 ans
L’enracinement en France :
« J’aimerai bien rester en France. J’aime beaucoup la France. C’est chez moi. Je suis née ici. Enfin ça va peut-être paraître bizarre à certains, aux Français. Mais pour moi la France c’est chez moi. La France je la considère vraiment comme mon pays. Je me sens vraiment chez moi donc mon avenir c’est ici. »
Jeune fille, 19 ans, née en France
« Je me considère toujours plus kurde que française. La façon que m’a élevée mon père est beaucoup plus kurde que française. Même si il ne parlait pas la langue, il y avait une culture qui était derrière. »
Jeune fille, 23 ans née en France
« Je ne sais pas ( si je me sens français ou non ). Je suis né ici, je suis français et kurde. Mais avec ma tête je ne peux pas dire que je suis français. »
Jeune homme 20 ans né en France
« Moi je ne peux pas m’imaginer française parce que déjà j’ai deux cultures et je me sens à cheval entre les deux. Je ne peux me dire très kurde non plus, c’est vrai que je le suis, mais d’un côté je suis très bien intégrée, je parle la langue française, il y a beaucoup de choses qui ont changé (…) qui ont changé en français. Je ne sais pas comment le dire. La France c’est mon pays d’accueil, c’est quand même important pour moi c’est presque une partie de mon pays, parce que mon pays d’origine je ne l’ai pas vraiment connu (…). Je pense que la France c’est vraiment important quoi, c’est un peu mon pays aussi. »
Jeune fille, 19 ans, arrivée en France à l’âge de 7 ans
« Ton pays c’est le Kurdistan, mais tu as vécu en France. Tu as travaillé en France. Ce n’est pas ton pays mais je crois que tu as le droit de la voir comme ton pays. »
Jeune homme, 25 ans, arrivé en France à l’âge de 7 ans
«J’ai une partie de moi qui est devenue française, parce que j’ai vécu quand même 11 ans dans ce pays. Forcément tu fais un petit peu partie de ces personnes là. »
Jeune fille, 19 ans, arrivée en France à l’âge de 8 ans
Les jeunes issus de l’immigration : Citoyens à part entière ?
« Aujourd’hui en France on n’est pas accepté. Le fait qu’on est immigré on n’est pas accepté. On ne peut pas dire qu’on est français malgré qu’on a grandi ici. On ne peut pas dire qu’on est français, le fait qu’on arrive devant un Français, il vous voit basané, c’est bon quoi ! »
Jeune homme, 30 ans, arrivé en France à l’âge de 2 ans
« Il y a quelques années, j’ai fait une demande de naturalisation. Ma demande a été refusée parce que j’étais mariée. Ils m’ont dit " comme vous êtes mariés c’est peut-être pour faire rentrer votre mari que vous voulez l’avoir." Mais ce n’était pas du tout ça ! Je voulais vraiment avoir la nationalité française. Comme j’ai vécu ici, je tiens beaucoup à la France. (…) Je préfère rester en France, parce que j’ai vécu en France. J’ai grandi ici. Je me sens comme l’enfant de la France, je me sens français. Je n’ai connu qu’ici. J’ai grandi ici. Je ne connais pas la Turquie. »
Jeune femme, 26 ans, arrivée en France à l’âge de 7 ans
« Moi je suis née en France. Je vais à l’école, on est en France, le système est français. J’allume la télé c’est des valeurs françaises, la culture française (…). Et puis, chez moi, c’est les traditions, c’est les valeurs kurdes, des choses comme ça. (…) Et c’est très très dur de les aménager, de trouver un équilibre, parce qu’on a l’impression qu’on joue un rôle quand on est dehors et de rejouer un autre quand on est à la maison par exemple. On n’est pas la même personne.»
jeune fille née en France
« Je ne pense pas qu’on devient française seulement par papier. Seulement parce qu’on a la nationalité ça y est on est français. Non, moi (bien que je n’ai pas eu la nationalité française) je me sens française (…) Pour moi être français c’est être intégré, aimer la France, aimer la culture, aimer les Français, à savoir avoir des amis français aussi, c’est ça pour moi être français. (… ) »
Jeune fille, 19 ans, arrivée en France à l’âge de 11 ans
«Franchement, moi je suis Kurde de cœur. Mais j’aime bien vivre en France. Ici j’ai grandi et c’est là où on a grandi qu’on a envie de vivre. »
Jeune homme 24 ans, arrivé en France à l’âge de 10 ans
Bibliographie sélective
- Autant, (Claire) & Manry, (Véronique), 1998 « Comment négocier son destin? Mobilisations familiales et trajectoires de migrants. Immigrés de Turquie ». In: Hommes & Migrations n°. 1212, pp.70–79.
- Bozarslan, Hamit, 1995. « L’immigration kurde » in Migrants-Formation n°101, pp.115–129.
- Bozarslan, Hamit, 1996: « Immigration et intégration au féminin: femmes originaires de Turquie en France », in : Cemoti n°. 21, pp. 91–118.
- Mohséni, Chirine 2003: La deuxième génération Kurde en France au carrefour de repères fluctuants. Rapport d’enquête 2003 réalisé avec les soutiens de FASILD ( Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations et de l’Institut Kurde de Paris, 135p.
- Mohséni, Chirine, 2005 « Des jeunes issus de l’immigration kurde », in Revue Paserelles, n° 30, Printemps-Eté 2005, pp. 159-178
- Noiriel, Gérard 1988: Le creuset français: histoire de l’immigration XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil.
- Noiriel, Gérard 2002: Atlas de l’immigration en France: exclusion intégration. Paris: Autrement.
- Tribalat, Michèle, 1995: Faire France. Une enquête sur les immigrés et leurs enfants. Paris: La Découverte.
- Wihtol de Wenden, Catherine, 1993 « Nationalité, statut juridique et processus d’intégration ». In: Bernhard Lorreyte (sous la dir.) Les politiques d’intégration des jeunes issus de l’immigration. Paris : CIEMI- L’Harmattan, pp. 205–210.
* (ethnologue)
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