Par Madame Danielle Mitterrand (*)
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Retenue en d'autres lieux, je vous exprime mon grand regret de n’être pas parmi vous pour participer à la réflexion en commun sur le sujet de cette conférence.
Il y a quelques semaines, j’assistais à l’ouverture du Parlement réunifié du Kurdistan à Erbil. Regrettant l’absence d’une délégation française, j’aurais tant souhaité que cette démarche pour la démocratie soit encouragée par nos élus. Mon espoir est qu’aujourd’hui, dans ce lieu symbolique, ils soient nombreux à vous entendre et participer à la discussion sur l’avenir des Kurdes au Kurdistan en Irak.
Ce Kurdistan d’Irak, je l’avais gardé dans ma mémoire, il y a dix ans, comme une région meurtrie, dévastée, présentant ses plaies béantes aux regards effarés, témoignage de la folie des guerres détruisant toutes les raisons de vivre d’un peuple anéanti. Pendant une semaine je l’ai sillonné, l’esprit réconforté par le spectacle d’une population entreprenante et active. En la parcourant du nord au sud, en passant d’une vallée à l’autre, j’ai trouvé des étals bien chargés de fruits et légumes variés, des routes reconstruites, des écoliers en uniforme, une architecture respectueuse de la nature, de belles constructions privées et publiques, et des millions d’arbres plantés savamment pour composer un paysage harmonieux. Sous les coups de la stratégie de l’Anfal, les montagnes majestueuses du Kurdistan devenues chauves, ont retrouvé peu à peu leur allure d’antan grâce aux projets de reforestation et de mesures législatives sévères sur la protection de l’environnement. Les deux camps militaires d’Erbil et de Soulaimania, lieux d’emprisonnement, de torture et de disparition de nombreuses personnes, ont été transformés en vastes parcs publics, conçus et aménagés entièrement par des paysagistes et des ingénieurs kurdes. J’ai eu l’heureux sentiment de constater que la volonté de redonner vie à la région, en effaçant les vestiges de la mort anime la politique des dirigeants des deux partis du Kurdistan d’Irak.
Cependant, il reste tant de choses à faire. Tous les Kurdes du Kurdistan en Irak, ne bénéficient pas de l’autonomie de fait. Ceux qui vivent dans les villes pétrolifères laissées au contrôle de Bagdad, s’ils ne renoncent pas à leur identité, sont persécutés, déportés, ou expulsés. Ils sont des milliers à vivre dans des camps de fortune aménagés par les autorités kurdes dans l’attente d’être logés dans de nombreux logements en construction, que j’ai vu le long des routes au Kurdistan.
Chez nous, la fermeture du centre de Sangatte, où un nombre important des réfugiés sont d’origine kurde d’Irak, rappelle entre autres, la tragédie de ce peuple. Pourquoi les jeunes fuient le Kurdistan en Irak ? La jeunesse kurde, absente lors de ma visite en 1992, et que j’ai rencontré dans les lycées et les universités, redoute l’avenir de la région kurde au cas où elle ne serait plus protégée des exactions du régime irakien. Elle garde dans sa mémoire, et pour combien de temps encore, les terribles souvenirs d’un passé de gazage, de déportation, de torture et de disparition. Coupés du monde parce que soumis à un double embargo, les jeunes kurdes découvrent, grâce à l’Internet et aux antennes paraboliques, un autre monde et aspirent à la liberté. Comment les aider à comprendre que cette liberté tant convoitée, pourrait se révéler chimérique, sinon de contribuer à leur redonner l’espoir dans l’avenir sur leur propre sol, et qu’ils écrivent leur futur selon les valeurs de l’autre monde possible profilé au Forum social mondial.
Les spécialistes et les hommes de terrain, présents aujourd’hui, discuteront des questions principales concernant l’avenir des Kurdes en Irak. Il me reste à souhaiter une plus grande présence et une vraie implication de nos élus en rappelant la nécessité de la création d’un groupe parlementaire d’étude sur les Kurdes à l’Assemblée Nationale. Sans aucun doute, l’instauration d’une vraie démocratie en Irak, permettra aux Kurdes et à leurs compatriotes arabes, turkmène, assyro-chaldéens et autres, de vivre en bonne intelligence, en paix et en liberté.
(*) Présidente de France-Libertés
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