Dans ce village du Kurdistan irakien, où les maisons sont blotties à flanc de montagne, les toponymes rappellent la présence juive même si les dernières familles sont parties en 1949, un an après la création de l'Etat d'Israël.
Un bloc de maisons s'appelle encore Chusti ("ville juive" en kurde), même si sur le terrain de l'ancienne synagogue, aujourd'hui disparue, une maison a été bâtie. Et, dans la montagne qui surplombe la cité, un plateau est nommé Zarvia Dji (la "terre des Juifs") car ceux-ci s'y réunissaient pour leur fêtes.
"Ma grand-mère s'est convertie à l'islam quand son mari est mort et que mon père venait d'avoir dix ans", raconte Hajj Khalil, assis dans son jardin entouré de ses enfants et petits enfants. "Quand les juifs sont partis, nous sommes restés car nous étions devenus musulmans", ajoute cet ancien marchand de vêtements.
Dans la localité, on les appelle toujours "les juifs". "Si vous demandez dans la rue Ezzat ou Selim, personne ne saura de qui vous parlez, mais dès que vous précisez Ezzat le juif, alors ils identifient immédiatement qui vous cherchez", explique en riant l'un des petits enfants de 19 ans, en ajoutant aussitôt qu'il ne s'agit pas de discrimination car la famille est très aimée et très respectée dans le village.
En 1999, Itzhak Ezra, son cousin issu de germains, qui habite Tiberiade, est arrivé à Akre. "Nous avons annoncé aux voisins qu'il s'agissait d'un chauffeur routier turc que nous devions heberger. Mais Itzhak a rencontré un copain et tous deux se sont reconnus après un demi-siècle. Par chance, l'autre n'a rien dit et l'affaire ne s'est pas ébruitée", ajoute le vieux Khalil.
Plusieurs milliers de juifs vivaient depuis des siècles au Kurdistan où ils étaient parfaitement intégrés; l'ancien ministre israélien de la Défense, Itzhak Mordehaï est d'ailleurs originaire d'Akre.
Quelques semaines après son départ, Itzhak Ezra a envoyé une lettre pour remercier. "Les espions de Saddam l'on su et ont arrêté notre beau-frère qui vivait à Mossoul" (370 km au nord de Bagdad), raconte l'un des fils, Saber.
Pour le faire relâcher, Saber s'est rendu à la police secrète et a été détenu durant un mois à Bagdad, si bien que sa famille le croyait déjà mort.
"Ils m'ont interrogé; alors j'ai essayé de me faire passer pour un illettré et un fou, puis ils m'ont proposé de me donner un passeport pour que j'aille en Israël espionner pour eux, et enfin m'ont relâché", confie cet ouvrier d'une quarantaine d'années.
De 1991 jusqu'à l'invasion au printemps 2003, dans cette région autonome, des Israéliens ont pu atteindre le Kurdistan via la Turquie. Cependant, les services de sécurité de Saddam Hussein ont conservé des agents jusqu'à la chute du régime.
"Quand, quelques mois plus tard, mes autres cousins israéliens sont venus, ils n'ont pas compris notre refus de les rencontrer mais je ne pouvais pas leur expliquer. Ils sont partis furieux", se désole Hajj Khalil.
Depuis, plus de nouvelles. "Mon père voudrait bien aller les voir pour réparer ce quiproco", commente en aparté son fils Ezzat.